(Une photographie de Gilbert Turenne.)
Vivre une partie de sa vie entre deux mondes, c’est ce qui est arrivé à Kim Auclair. Cette entrepreneure graphiste, bédéiste et conférencière nous raconte comment, passé ses trente ans, elle a fait une introspection qui lui a permis de mieux assumer sa surdité.
Kim, tu es impliquée dans de nombreuses causes et projets engagés, quel est celui qui te tient le plus à coeur présentement?
En ce moment, c’est toujours en lien avec la surdité : sensibiliser les gens à la surdité, au défi de communication qu’on a au quotidien. J’ai collaboré avec des organismes, surtout Audition Québec, avec qui j’ai créé des outils de promotion pour sensibiliser la population. Suite à mon opération d’implant cochléaire, il y a un an environ, j’ai aussi produit des outils pour sensibiliser les employeurs.
Je ne considère pas que je suis handicapée, mais il faut que j’utilise les termes qui sont considérés par le gouvernement, parce que la surdité reste un obstacle. Beaucoup sont comme moi, ont une surdité tout en parlant très bien, mais ne s’affichent pas tant que ça et pensent qu’ils n’ont pas de problèmes. Mais, quand on fait la transition de l’appareil auditif à l’implant cochléaire, à la moitié de sa vie, comme moi, on voit bien la différence. Ce sont des sons qui me manquaient. Cette cause-là me tient beaucoup à cœur, évidemment.
Kim a fait de nombreuses sorties médiatiques pour sensibiliser la population, tout au long de la crise sanitaire.
La communauté sourde et malentendante dispose de nombreux moyens de communication (LSQ, français oral et écrit, autre langue orale et écrite, lecture labiale, etc.). Sens-tu que la communauté est morcelée, dû à ces communications différentes, ou au contraire, qu’elle reste assez unie et inclusive?
En fait, la communauté sourde, ce sont les personnes qui s’identifient comme sourdes. Moi, j’ai commencé à dire que j’étais sourde quand j’ai accepté ma surdité. Je n’utilisais pas ce mot-là, avant. J’ai toujours dit que j’étais malentendante. Quand j’ai accepté ma surdité, j’ai décidé de dire que j’étais sourde, parce que sans mon implant cochléaire, je n’entends pas. J’entends grâce à la technologie, mais j’ai quand même une surdité de sévère à profonde, de naissance.
La culture sourde n’est pas uniforme : c’est un mélange de plein de choses. Il y a des gens qui vont communiquer juste en signes, qui ne veulent pas parler, qui ne veulent pas entendre, qui ne veulent pas s’outiller, mais ça, ça vient souvent de l’environnement dans lequel ils ont grandi. Eux, ils vont parler seulement en langue des signes. D’autres auraient aimé entendre, mais ne peuvent pas à cause de malformations, etc. Il y en a qui sont contre les implants cochléaires, l’opération. Ça, ça dépend vraiment de la culture de la famille et des générations.
Aujourd’hui, les dépistages auditifs se font à la naissance. Le parent qui découvre la surdité va avoir des options tout de suite, dont un appareil auditif ou un implant cochléaire. Ça a beaucoup fait évoluer la communauté sourde au cours des ans. C’est sûr que ceux qui décident de ne pas parler oralement, de s’exprimer juste en langue des signes, ils forment une autre communauté, qui est plus petite, mais qui se suit un peu partout. Ils leur arrivent même de créer leur propre langue des signes. Ça fait juste 2 ans que je me suis rapprochée de la culture sourde, mais on voit qu’il y a des inégalités. Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec tous les moyens de communication, effectivement.
Depuis presque 1 an maintenant, tu relates ton expérience avec ton nouvel implant cochléaire sur ta page Facebook « Ma surdité ». Quelle est la différence entre un appareil auditif et un implant cochléaire?
L’appareil auditif va amplifier les sons. Les personnes âgées vont porter un appareil auditif, et ça va leur permettre d’entendre les sons plus fort. L’implant cochléaire va permettre la compréhension des mots, sans lecture sur les lèvres, à l’aide d’impulsions électriques. Je savais que je lisais sur les lèvres, mais pendant ma réadaptation avec mon implant cochléaire, je me suis rendu compte à quel point la lecture labiale a été importante dans ma vie. Je regardais toujours les lèvres des gens. Aujourd’hui, on dit que je regarde moins les lèvres des gens, mais ça me demande quand même de la concentration.
Je me suis toujours fié à la devinette, et non à ce que j’entendais. Si je ne vois pas les lèvres de la personne, je vais comprendre peut-être 2 mots dans une phrase et j’associe le reste des mots selon le contexte. L’implant cochléaire me permet d’entendre mieux les mots, sans lecture sur les lèvres. Et il va réveiller les sons de l’environnement qu’on n’entendait pas, comme le chien qui boit de l’eau ou le chat qui mange sa bouffe.
La promesse de l’implant cochléaire, c’est vraiment la compréhension de la parole et réveiller les sons subtils de la nature, de l’environnement. Entendre, ça ne veut pas nécessairement dire comprendre : si quelqu’un te parle le mandarin plus fort, tu ne vas plus comprendre ce qu’il dit, si tu ne connais pas la langue. L’implant cochléaire, grâce à la réadaptation, va te permettre de comprendre la parole.
Sur son site web, Kim offre sa bande dessinée « Ma surdité expliquée autrement » gratuitement.
Quel rôle a joué l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA) dans ta vie?
En fait, l’AQEPA a surtout été présente dans les débuts de ma vie. J’ai perdu contact avec eux quand j’ai commencé à vieillir. L’AQEPA, c’est pour les parents d’enfants qui ont un certain niveau de surdité. Ils découvrent la surdité en même temps que leur enfant et reçoivent des outils. À l’époque (et encore aujourd’hui!), l’AQEPA organisait beaucoup d’activités. Ça m’a permis d’être en contact avec des personnes sourdes et malentendantes de différentes sortes. Dans le fond, c’est comme ça que la plupart des enfants ont un contact avec l’AQEPA. À leur naissance, les parents ne savent pas où aller et l’AQEPA est LA ressource.
Mais, je ne me suis jamais identifiée aux personnes que je voyais. Je me sentais différente. Je ne suis pas retournée dans des endroits où il y avait des personnes sourdes avant longtemps. Vers 16 ou 17 ans, j’ai réintégré des activités, mais je ne me sentais pas comme ceux qui m’entouraient. Tu sais, je ne m’acceptais pas. Ça fait 2 ans que j’ai repris contact avec ces personnes-là pour mieux comprendre mes défis au quotidien, dans une démarche personnelle. Avant d’avoir mon opération, je trouvais ça important de le faire, de comprendre mes limites, pourquoi je me sentais comme ça.
As-tu trouvé quelles raisons ont provoqué ton éloignement de la communauté?
C’est juste un sentiment d’appartenance. Je ne m’identifiais pas aux personnes sourdes et malentendantes, donc je ne m’identifiais pas à la communauté, tout simplement. La plupart avaient d’autres déformations, d’autres problèmes, qui paraissaient. Moi, j’ai toujours voulu le cacher. J’ai toujours été dans des écoles régulières, et oui, j’en ai arraché beaucoup à l’école. J’ai développé une forme d’apprentissage qui m’est propre. J’apprends par essai-erreur, sur le terrain.
Chaque personne va avoir son cheminement, mais moi, ça a été plus long avant que j’accepte vraiment les aides. Je me suis demandé si c’était pour ça que je n’avais pas l’impression d’avoir retenu l’information de mes cours, d’être cultivée. J’ai évolué dans une forme d’apprentissage qui n’était pas adaptée à mon propre rythme. Donc oui, ça a eu un impact sur mes études, mais je voudrais aussi souligner qu’aller dans les écoles spécialisées, ça peut être un problème pour les gens qui, après, doivent s’intégrer avec les personnes entendantes.
J’admire les sourds et malentendants qui ont des bacs, mais quand je leur en parle, ils me répondent qu’ils ne trouvent pas plus de travail. Ils me disent : « Oui, mais Kim, c’est un papier. Pour être bien honnêtes, nous on t’envie, parce que toi, tu es vraiment dans ton domaine. » C’est vraiment spécial.
Y a-t-il des gens qui t’ont inspirée dans ton parcours entrepreneurial?
Je dirais que tout le monde m’inspire, peu importe leur parcours. Même si, à mes yeux, certaines personnes peuvent avoir fait de « mauvaises » choses, on dirait que je suis capable d’apprendre d’elles quand même. Je peux m’inspirer de tous les parcours, parce que mon but, ça reste de créer le lien.
C’est sûr que, quand j’ai eu un épuisement professionnel, le travail a pris un autre sens dans ma vie. Je te dirais que mon père est encore un modèle, parce que je me suis rendu compte à quel point je lui ressemblais. Lui, il a sa bâtisse depuis 45 ans. Il vit de son petit commerce, il sert une bonne clientèle et offre un bon service.
Avant que j’aie mon épuisement, j’étais très présente sur le web et je ressentais une certaine pression. C’est facile de se comparer aux autres, de regarder ce qu’ils font. On sent cette pression-là de réussir, de vouloir aller plus loin, mais est-ce que ça convient? Est-ce que tu es capable de le faire?
En 2015-2016, c’était mes meilleures années; je faisais presque 10 000$-12 000$ par mois, puis ça continuait à monter. J’avais engagé ma première employée, mais elle a démissionné. J’ai commencé à voyager, j’ai fait trop de choses en même temps. Je ne me suis pas arrêtée quand j’aurais dû.
C’est là que j’ai compris que j’étais un peu comme mon père, dans le fond. J’admire beaucoup ceux qui ont bâti des multinationales, mais ça ne veut rien dire, au final. Est-ce qu’ils sont bien? Je veux juste faire ce que j’aime, en emportant un peu de tout le monde avec moi.
Entrevue avec Kim sur son entreprise Niviti, où son père fait une apparition pour exprimer sa fierté envers sa fille.
Existe-t-il des gestes concrets à poser, en tant qu’individu, pour mieux accueillir les personnes sourdes et malentendantes dans la société?
Actuellement, dans la pandémie, c’est d’être ouvert. Il existe des masques avec des fenêtres transparentes, alors c’est de se sensibiliser et d’acquérir ces outils-là. Mais, ça dépend de la mentalité des gens, il y en a toujours qui sont bien fermés.
Avant, je ne mettais pas ma surdité sur mon C.V., parce que ça me bloquait des entrevues. Donc, aux employeurs, je dirais de ne pas mettre de côté une candidature trop rapidement. Si je prends la peine de mentionner ma surdité, donnez-moi une chance de montrer ce que j’ai comme compétences. Il y a d’ailleurs des guides de communication qui existent pour les employeurs. Mais sinon, les gestes, ce serait d’être plus patients, d’oser répéter. C’est vraiment d’acquérir ces outils-là, de lire sur le sujet, de s’informer.
Si tu étais…
Un dessert : Gâteau aux carottes
Un film : Elle a tout pour elle
Une émotion : Satisfaction
Un restaurant : Peu importe, mais il doit y avoir des pâtes!